S'il
est un éditeur qui doit bien énerver ses concurrents dans le
domaine du jeu de combat en ce début des années 90, c'est
bien Capcom. Cette compagnie a enchaîné deux énormes succès
en 1989 et en 1991 avec Final Fight puis Street Fighter II.
SNK a bien tenté sa chance en ripostant le premier avec
Fatal Fury, puis Alpha Denshi avec World Heroes et enfin
Midway avec Mortal Kombat, mais rien de réellement menaçant.
Cette fois c'est SNK qui revient à la charge le 24 septembre
1992 sur MVS avec une autre franchise, Art of Fighting
(l'art du combat). Tout un programme, si l'on en croit le
titre ! Pour l'anecdote, il s'agit du premier jeu à franchir
sur Neo·Geo le cap des 100 Mbits. Il aura bien besoin de
cela, Street Fighter II en étant à sa deuxième mouture et la
concurrence s'organisant de mieux en mieux.
Fatal
Fury
(1991, SNK)
World
Heroes
(1992, Alpha Denshi)
Mortal
Kombat
(1992, Midway)
Encore
plus que pour Fatal Fury, SNK a ici fait un effort sur le
scénario.
Ryô Sakazaki et Robert Garcia sont amis et également rivaux.
Ils pratiquent une forme mystique de karaté, le Kyôkugenryû.
Ce savoir leur a été transmis par Takuma Sakazaki, le père
de Ryô. Ce dernier a élevé seul son fils et sa fille, Yuri,
leur mère ayant disparu dans un tragique accident. Takuma a
ensuite disparu et à présent c'est Yuri qui a été kidnappée.
Ryô et son ami Robert vont donc mener une enquête musclée à
Southtown, la ville où prenaient également place les
évènements de Fatal Fury.
Les
deux intros du jeu sont très similaires et rappellent
l'enlèvement de Yuri puis présentent nos deux héros.
Les
réglages se résument au choix de la difficulté et, chose
plus rare, de la langue. Ensuite vient le moment de la
sélection du mode de jeu : Versus et Story.
En
VS. Mode, on a un panel de 8 combattants (10 avec cette
astuce) pour des affrontements intenses.
Certains personnages ont peu de coups ou même de mouvements
(par exemple, Mr Big ne peut pas sauter), mais c'est
toujours sympa.
En
Story Mode, seulement deux personnages restent jouables.
Vous pouvez incarner soit Ryô, le frère de Yuri, soit Robert
et parcourir les rues de Southtown en "questionnant" de
façon énergique ceux qui s'opposeront à vous.
Ce
périple dans les quartiers de Southtown finit par mener à un
mystérieux individu masqué ayant une rare maîtrise du karaté
Kyôkugenryû...
Chaque
adversaire vaincu donne une indication sur le lieu où peut
se trouver Yuri ou bien sur une personne capable de
renseigner nos deux compères.
Ryûhaku Tôdô :
Cet expert en arts martiaux parcourt Southtown à la
recherche d'adversaires.
Jack Turner :
Surnommé "Terrible Typhoon" et chef du gang des Black
Cats, Jack travaille pour Mr Big.
Lee Pai Long :
Combattant mais aussi médecin, Lee est le directeur de
la prison de Southtown a et connu Takuma Sakazaki.
King :
Ayant passé son enfance en Thaïlande et maîtrisant le
muay-thaï, King travaille au restaurant l'Amor.
Mickey Rogers :
Autrefois boxeur professionnel, Mickey a
accidentellement tué un adversaire sur le ring et a
abandonné sa carrière.
John Crawley :
Instructeur en arts martiaux à l'armée, John est
surnommé "The Killing Machine".
Mr Big :
Figure de la pègre de Southtown, Mr Big est celui qui
a enlevé Yuri Sakazaki.
Mr
Karate :
Cachant sa véritable identité derrière un masque de
tengu, Mr Karate est un expert en Kyôkogenryû.
Art
of Fighting utilise les quatre boutons de la manette.
: coup de poing
: coup de pied
: coup fort / saisie / saut en triangle
: provocation
Outre les utilisations habituelles, les directions
permettent de faire un dash avant avec ainsi qu'un dash arrière
avec .
En
plus de servir au coup fort, à attraper et à s'appuyer
contre les bords de l'écran lors des sauts, autorise également un petit coup
en fourbe lors des sauts. Lorsqu'on saute et qu'on va
atterrir dans le dos de l'adversaire, il est alors possible
de donner un coup bien senti.
Robert saute dans le dos de Mickey
mais ne le manque pas !
Art
of Fighting dispose par ailleurs de deux combinaisons,
et . La première est un coup de poing réservé au
combat très rapproché tandis que la seconde est un coup de
pied imposant une garde accroupie.
Il
y a bien sûr des mouvements spéciaux (dont la liste est dans
le guide
stratégique) mais ceux-ci sont soumis à la jauge
Spirit, présente juste au-dessous de la barre de
santé. Chaque attaque exécutée l'entame un peu plus, ce qui
rend les coups spéciaux moins puissants et efficaces. Quand
elle est vide, autant les oublier. Pour la remplir, il
suffit de maintenir ou appuyé. Mais attention ! Durant
une telle phase on est totalement vulnérable à la moindre
attaque. La provocation (bouton ) intervient à ce niveau. Cela sert
à vider la barre de Spirit de l'adversaire. Enfin il
conviendra de souligner que ces coups spéciaux sont plus ou
moins gourmands en énergie psychique... et donc plus ou
moins dévastateurs.
Notons également l'apparition des Desperation Moves.
Quand la barre de santé est à un niveau bas on peut
déclencher une attaque ultime. Comme si cela ne suffisait
pas, c'est imparable. Une telle attaque consommera encore
plus d'énergie mentale qu'un Haoh Shoko Ken, alors il faudra
veiller à avoir la barre de Spirit bien remplie sous
peine de désillusion !
Breath of the Tiger
+
Haoh Shoko Ken
+
Ryûko Ranbu
+ ,
Le
déroulement d'Art of Fighting est entrecoupé de bonus
stages qu'il est essentiel de réussir, ce qui est
nouveau par rapport à des jeux comme Fatal Fury, Street
Fighter II, Mortal Kombat ou encore World Heroes. Dans ces
derniers, ce n'est qu'un prétexte pour amasser davantage de
points. Ici, la récompense sera à la hauteur de l'effort
fourni.
Dans
le premier, on peut augmenter la capacité de sa barre de
concentration en décapitant des bouteilles. Dans le
deuxième, il s'agit de briser une pile de blocs de glace
pour gagner de la santé. Enfin, on apprend à exécuter un
pouvoir spécial très puissant dans le troisième jeu-bonus
(Haoh Shoko Ken).
Soucieux
de ne pas copier sans innover, SNK a distingué son titre des
autres jeux de combat par certains aspects. D'abord ce qui
frappe est la taille absolument gigantesque des combattants.
Les sprites sont énormes, c'est du jamais vu. Ils
doivent bien prendre les trois quarts de la hauteur de
l'écran.
Ensuite,
il y a les zooms. Lorsque les combattants s'éloignent,
l'image subit un zoom inversé pour donner l'impression que
la caméra recule. Il en découle que la jouabilité n'est pas
altérée par la grande taille des sprites qui aurait pu nuire
à une bonne lisibilité.
Enfin
on notera un détail saisissant : le visage des personnages
se dégrade au cours du combat, à force de recevoir des
coups. Contusions, sang qui coule, lunettes de soleil
cassées, tout y est !
L'une
des grandes innovations d'Art of Fighting est l'utilisation d'effets
de zooms lorsque les combattants se rapprochent.
Mais est-ce bien un effet de zoom ? Eh bien à vrai
dire il n'y a pas de zooms dans ce jeu, ni dans
aucun autre sur Neo·Geo. Mais alors, que propose Art
of Fighting ? Il faut savoir que les personnages
sont un assemblage de 5 sprites de 16 pixels
de large ajustés en permanence. Lorsqu'ils sont à
distance, le jeu affiche alors les personnages -
ainsi que les décors - en sprites
redimensionnés à 12 pixels de large. Il s'agit donc
ici davantage de ce qu'on pourrait qualifier
d'alternance entre "dézoom" et retour à la taille
normale. Cela étant, l'effet reste étonnant et
impressionnant et il sera plus simple de continuer à
le désigner comme un zoom.
Il
existe une bande dessinée qui enrichit l'histoire
d'Art of Fighting. Il s'agit d'un manga signé
Shinkirô, il permet de faire connaissance avec les
pères respectifs de Ryô et Robert, ainsi que de
Yuri. Ce prologue est en japonais et retrace
rapidement la jeunesse de nos deux héros, puis les
évènements qui précèdent le jeu.
SNK
a tout fait pour faire d'Art of Fighting un jeu certes
concurrent, mais différent de Street Fighter II, avec une
forte personnalité et une bonne dose d'innovation. Voyons à
présent si sa réalisation est à la hauteur des ambitions de
l'éditeur d'Ôsaka.
Tous les
décors du jeu prennent place à Southtown, théâtre des
affrontements de Fatal Fury. Ils sont vraiment splendides,
très fins et bourrés de détails. La mise en couleurs est un
peu sombre et terne pour certains stages mais c'est sans
doute pour accentuer le côté sérieux du jeu. L'ambiance y
est très mature, le jeu nous présentant une ville contrastée
: une rue crasseuse, un bar mal fâmé, mais aussi un luxueux
restaurant ou encore un dôjô. Dans tous les cas, le travail
accompli est de très haut niveau, c'est un véritable régal
pour les yeux.
Quant aux personnages, ils proofitent pleinement de leur
taille plus qu'imposante en proposant un niveau de détail
impressionnant.
Les zooms
apportent une touche d'originalité et de technologie
appréciable par rapport à la concurrence directe. Un peu
moins réjouissant, les mouvements des personnages manquent
de souplesse, ils sont trop raides dans leurs déplacements.
Le son est franchement bon avec des voix digitalisées
criantes de vérité. Les bruitages ne manquent pas d'impact
et retranscrivent parfaitement la puissance dégagée par les
coups que l'on peut s'imaginer.
Quant aux musiques, elles sont variées, de qualité et
entraînantes.
Inédite, la
jouabilité en déroutera plus d'un. SNK a fait d'Art of
Fighting une alternative aux jeux de combat classiques et ce
n'est pas plus mal. L'effet de zoom/dézoom n'est pas là que
pour impressionner. Il est au service de la jouabilité en
permettant d'avoir des personnages énormes sans toutefois
sacrifier le jeu à distance.
L'ensemble reste cependant assez raide avec des coups qui
sortent avec quelques difficultés, peu évidents à placer, et
dont on ne comprend pas toujours les priorités.
La durée de
vie est assez mauvaise en mode Story avec seulement 2
personnages jouables, malgré une difficulté élevée et un
scénario travaillé. Art of Fighting se rattrape plutôt bien
en mode Versus avec ses 10 combattants, même si Ryô et
Robert restent les combattants les plus intéressants à
jouer.
Il
n'y a pas grand-chose à dire de cette version
Neo·Geo CD d'Art of Fighting. Tout y est identique,
même la bande-son : mêmes qualités, mêmes défauts.
Les temps de chargements, assez courts, ne nuisent
pas au plaisir de jeu. SNK aurait pu inclure la
possibilité de prendre Mr Big et Mr Karate dès le
départ, l'astuce pour les prendre étant peu
pratique.
Au final
nous avons un jeu identique à la version cartouche,
Art of Fighting sur Neo·Geo CD restant un très bon
choix.
Et
aujourd'hui ?
Art of Fighting est un titre
absolument remarquable. Son ambiance, sa bande
sonore percutante et ses graphismes de haute
volée en font un très bon jeu à la réalisation
étonnante. Sa jouabilité un peu raide ainsi que
son atmosphère volontairement mature pourront
cependant en rebuter certains.
Si l'excellent Street Fighter II' reste
intouchable, Fatal Fury et World Heroes sont
tout de même assez nettement distancés.
Reconnaissons-le, Art of Fighting est un titre qui
sacrément vieilli. Vieilli dans quelles
proportions ? Eh bien, il appartient sans nul
doute à la génération où placer des coups est
primordial. Les amateurs d'enchaînements de folie
iront donc voir ailleurs. Pour les joueurs prêts à
se remettre dans le contexte du jeu, ce sera une
plongée envoûtante dans Southtown, plus crasseuse
et inquiétante que jamais, le tout servi par des
graphismes toujours réussis et une bande-son de
qualité. Sans compter le fait que c'est le jeu qui
a introduit les Desperations Moves, la
jauge supplémentaire et les dashes, ce qui
n'est pas rien.