Tirer
les leçons du passé, voilà une chose pas évidente quand on
est parti dans une certaine direction. C'est précisément ce
qui concerne ADK (anciennement Alpha Denshi) en ce mois de
mai 1996. Le développeur très intimement lié à SNK s'est
surtout fait connaître avec sa série World Heroes, forte de
quatre épisodes. Parodie pour certains, plagiat sans
envergure pour d'autres, il est indéniable que cette saga
n'a pas pu - ou su - gagner ses lettres de noblesse, malgré
des qualités. Avec World Heroes Perfect (le mal nommé), on
sentait bien que la série tournait en rond, ayant toutes les
peines du monde à se renouveler.
ADK
a donc décidé de tourner la page des héros du monde, au
risque de décevoir ses fans. Cela est d'autant plus risqué
que cette année 1996 est riche en titres forts, la
concurrence entre Capcom et SNK étant plus que jamais âpre
et intense. Pour s'épargner cela, une solution est
d'investir une niche et c'est donc le combat à l'arme
blanche qui va être choisi. Et il est vrai qu'à part SNK qui
y règne en maître avec ses Samurai Shodown et Namco qui
occupe le secteur de la 3D avec un Soul Edge convaincant (on
n'oubliera pas les plus confidentiels Kabuki Klash et Kizuna
Encounter), le terrain a l'air un peu plus dégagé que dans
le domaine du jeu de combat classique.
Samurai Shodown III
(1995, SNK)
Soul Edge
(1995, Namco)
Kizuna Encounter
(1996, SNK)
Le titre de ce nouvel arrivant sera
Ninja Master's, pas très original de la part d'ADK à qui
on doit déjà Ninja Combat et Ninja Commando. Pour
information le titre complet est Ninja Master's: Haô Ninpô
Chô (les parchemins des arts suprêmes Ninja) . Fort de 330
Mbits (la limite théorique de la Neo·Geo, relevant plus du
marketing que de ses capacités réelles), ce jeu fait donc
table rase du passé et arrive en arcade le 26 mai 1996.
Les versions consoles cartouche et CD suivent
respectivement les 28 juin et 27 septembre.
L'histoire de Ninja Master's
se déroule pendant l'ère Sengoku, période tourmentée du
Japon. Elle se caractérise par de très nombreux conflits et
se termine par l'unification du pays, sous l'impulsion d'Oda
Nobunaga. Ce dernier est d'ailleurs présent dans le jeu et
fait office d'ennemi à vaincre en devenant un seigneur de
guerre démoniaque et avide de pouvoir. Différents guerriers
et guerrières se lancent donc dans une lutte acharnée contre
le tyran.
Une
brève intro plonge directement le joueur dans une ambiance à
la fois sombre et dramatique, le tout soutenu par une
animation réussie et un son à base de percussions. Cela
s'annonce très sérieux, aux antipodes des World Heroes où
légèreté et couleurs saturées étaient omniprésentes.
Un fois appuyé, on tombe sur un écran
d'options assez fourni. Choix du mode de jeu (Arcade ou
Versus, un vrai Versus s'il vous plaît), difficulté, temps
de jeu et configuration des boutons de la manette. Certes,
ce n'est pas non plus extrêmement étoffé, mais pour un jeu
Neo·Geo, c'est déjà bien complet.
Notons d'ailleurs au passage que ces options ont pour fond
un défilé de bien jolies images, façon dessins à l'encre,
nous présentant les différents personnages.
Enfin la traditionnelle et
néanmoins incontournable séquence How to Play permet
d'apprendre les bases du jeu. La configuration
(modifiable, donc) est la même que dans Karnov's Revenge. : poing faible : poing
fort : pied faible : pied fort : dash : backdash
Côté combinaisons de boutons, il
est possible de déclencher un coup plus puissant avec + .
Contrairement aux Samurai Shodown où la perte de l'arme
fait office de punition, ici Ninja Master's explore
également le combat à mains nues : appuyer sur perment de dégainer ou rengainer
son arme. Fin du fin, il est possible de faire des
enchaînements où on commence par exemple à mains nues et
on finit avec son arme, efficacité garantie ! Enfin le
mode Hyper s'active avec ,
ce qui autorise d'autres coups.
+
Arrive
le moment de choisir son combattant et là, il faut bien
avouer le choix est tout juste convenable. Avec 10
personnages, on est dans la moyenne très basse. Pour
compenser cela il est possible de prendre les boss du jeu
avec un code disponible ici. Au moins, l'ensemble du
casting réuni ici est 100% nouveau, ADK ne liant aucunement
son Ninja Master's à d'antérieures productions.
Rappelons-nous par exemple Aggressors of Dark Kombat ou
Ninja Commando qui sont liés avec World Heroes.
Héros du
jeu, Sasuke est un ninja poursuivi par ceux de son
clan. Il l'a quitté pour mener une quête contre
Obunaga.
C'est un guerrier dont
les actes semblent dictés par l'appel du sang. On
raconte que c'est un corbeau qui a pris forme
humaine ("Karasu" signifie d'ailleurs "corbeau").
Ce colosse est un
moine ayant délaissé son monastère pour se battre et
bâtir un monde sans démons.
Ayant grandi à
l'étranger, Natsume revient au Japon car des
cauchemars en rapport avec ce pays la tourmentent.
Rival de Sasuke, il
appartient au même clan que ce dernier. Il est chargé
de le retrouver et de lui infliger son châtiment.
Orphelin adopté par
un vieil homme qui lui a enseigné le ninjitsu, il est
devenu chasseur de primes et recherche Goemon.
Kasumi est une jeune
apprentie ninja du clan Kurenai. Elle l'a quitté sans
avoir achevé sa formation.
Voleur de grand
chemin, Goemon a entendu parler d'un château en or et
désire donc affronter son occupant, Nobunaga.
Houoh est un
exorciste qui veut nettoyer le pays de tous ses
démons.
Ce Japonais a été
abandonné dans son enfance en Corée. Il a ressenti une
présence démoniaque au Japon et y retourne.
À
ces 10 combattants s'ajoutent donc les deux boss du jeu,
directement inspirés de personnages réels liés. Ici Mori
Ranmaru est l'aide de camp d'Oda Nobunaga, le seigneur de
guerre démoniaque assoiffé de pouvoir. Et contrairement à ce
que l'on pourrait penser aux premier abord, Ranmaru est bien
un homme, malgré son apparence.
Bien
entendu, chaque combattant possède une panoplie de coups
spéciaux, au minimum au nombre de 5. La plupart sont simples
à réaliser, d'autres un peu moins. On retrouvera tous les
stéréotypes habituels : les personnages à base de quarts de
cercles, ceux à charge, les chopeurs... Du très classique où
chaque joueur pourra trouver son compte.
Les Desperation Moves sont aussi de la partie,
réalisables quand la barre de vie est dans le rouge ou quand
le mode Hyper est activé.
Enfin les Super Desperation Moves aux dégâts encore
plus prononcés ne sont faisables seulement si la barre de
vie est dans le rouge et que la barre Power est au maximum
ou qu'on est en mode Hyper.
FuGa
+
DaiNichi-SyaNaSyo-Rai
+
Concentrated
Blast
+
Ninja
Master's a beau proposer des coups spéciaux, c'est avant
tout un jeu à enchaînements. C'est donc tout naturellement
que le Super Chain constitue l'enchaînement
dévastateur par excellence. On peut l'exécuter lorsque la
barre de Power est à son maximum ou quand le mode Hyper est
activé.
ShiMonSatsu , , , ,
+
Comme
dans Samurai Shodown III, l'intégralité du jeu se déroule au
Japon, mais à une époque un peu plus ancienne, donc. À moins
d'être un expert chevronné de l'histoire du Japon, cela ne
se voit pas particulièrement, mais on pourra toujours
apprécier le fait que la plupart des stages ont deux
variantes.
ADK tire clairement et définitivement un trait sur
World Heroes, série d'ailleurs souvent pointée du doigt pour
sa réalisation, certes correcte, mais jamais éblouissante.
Qu'en est-il avec Ninja Master's ?
Eh bien le
changement est incontestable ! Les décors oscillent entre le
bon et l'excellent, le trait est soigné, les couleurs bien
choisies... on en redemande. Il plane sur ce jeu une
délicieuse ambiance de désolation : cadavres, corbeaux,
ruines, tout concourt à confirmer que l'époque est
incertaine et tourmentée.
Du côté des personnages, on délaisse enfin les ninjas en
collant fluo des Ninja Combat, Ninja Commando et autres
World Heroes pour des tenues plus crédibles et plus en
accord avec le style sérieux du jeu.
Fort bien
décomposée, l'animation ne faillit pas. C'est assez rapide,
les positions sont nombreuses, tout est soigné. Seul regret,
les personnages sont un peu trop petits (encore plus petits
que dans World Heroes), ce qui empêche de profiter
pleinement du travail accompli. Si c'est travaillé, ce n'est
aucunement tape-à-l'œil : il ne faudra pas attendre d'effets
pyrotechniques façon Marvel Super Heroes ou Night Warriors.
En ce qui concerne les décors, bien que dénués de badauds,
ils se montrent bien vivants avec de discrètes animations.
La bande-son
est à l'image du visuel : l'ambiance est sérieuse, instaurée
par des musiques aux tonalités graves, généreuses en
percussions. Sans être aussi marquantes que ce qui peut se
faire chez SNK, elles s'intègrent parfaitement au jeu et
soutiennent au mieux l'action.
Du côté des bruitages, chocs de lames, impacts de coups,
voix de qualité, tout est impeccablement échantillonné.
Toute en
enchaînements, la jouabilité de Ninja Master's séduira dans
un premier temps les acharnés du stick avant de révéler
quelques limites à cause d'infinis. Il n'empêche que le
joueur occasionnel appréciera ces possibilités ainsi que le
fait que combat à l'arme blanche ou à mains nues soient mis
en avant. Les coups spéciaux ne sont heureusement pas mis de
côté et, même s'ils impressionnent moins que chez SNK ou
surtout Capcom, ils restent très efficaces. Petit regret, le
dash et le backdash sont franchement trop
courts.
Avec seulement
10 personnages de base, on pourra se dire que Ninja Master's
est bien pingre dans ce domaine... et on aura bien raison.
Il est sûr qu'on est bien loin d'un King of Fighters ou même
d'un Real Bout. Même si cela relève de l'évidence, il
convient toutefois de rappeler que le casting est
entièrement nouveau, que personne ne joue jamais
sérieusement 100% des personnages d'un jeu et qu'en plus,
cela permet de pouvoir plus aisément en faire le tour. Mais
il est vrai que cela reste limité, malgré les deux boss à
débloquer.
La
sortie assez tardive de Ninja Master's sur Neo·Geo
CD (3 mois après la version cartouche, tout de même)
a permis quelques ajouts assez appréciables.
Première chose, le jeu est plus riche en modes de
jeu proposés. Si les classiques Arcade et Versus
reprennent le jeu sur Neo·Geo, le mode Perfect
apporte une petite subtilité : on peut gagner dès la
première manche si on fait un Perfect. Quant
au Practice, il permettra de découvrir à tête
reposée le maniement des différents personnages,
avec pas mal de réglages. Il y a également un mode
dit "Original" dans les options, mais là il s'agit
juste de désactiver les scènes intermédiaires pour
alléger les temps de chargement.
L'autre gros ajout concerne les personnages. Ici sur
Neo·Geo CD il est possible de prendre les boss sans
aucun code à entrer.
Comme
souvent
avec les jeux ADK, on a droit à des mélodies
réorchestrées pour le passage sur CD. Plus étoffées,
les musiques perdent en revanche leur côté "grosses
basses", ce qui
ne manquera pas de décevoir les amateurs du son de
la cartouche.
S'il
y a des ajouts, on notera également quelques coupes,
sans doute pour faire rentrer le jeu au chausse-pied
dans les 7 Mo (pourtant respectables) de
mémoire dynamique de la console. Outre quelques
étapes d'animation que seuls les yeux les plus
affutés verront manquer, les décors ont subi une
cure d'amaigrissement assez conséquente. Des
éléments de premier plan ont été enlevés, et surtout
les arènes de combat ont été raccourcies à droite et
à gauche.
Neo·Geo
Neo·Geo
CD
Quant
aux temps de chargement, ils sont un peu trop longs,
et jouer en mode Original ampute évidemment le jeu
d'un bel habillage.
Généreux
en ajouts mais également pas mal allégé sur d'autres
points, Ninja Master's dans sa version CD impose en
plus d'assez longs temps de chargement. Si sur
Neo·Geo CDZ ça passe, sur Neo·Geo CD le jeu perd
encore un peu de son éclat.
Bilan
ADK a effectivement bien tiré les
leçons de sa période World Heroes et ninjas en
collant fluo et nous livre un jeu quasiment
impeccable. L'ambiance est sérieuse, la
réalisation d'un niveau franchement bon et la
jouabilité très intéressante. À part des
personnages un peu petits et le fait qu'il doive
convaincre (il n'arrive pas en terrain conquis
comme Samurai Shodown IV qui sortira peu après),
il n'y a en fait pas grand chose à lui reprocher.
Mais alors, pourquoi tant de dénigrement à son
encontre ? Pourquoi a-t-il été si fraîchement reçu
à son lancement par les critiques et les joueurs ?
Pour une fois, prenons le temps d'examiner en
détail ce cas plutôt atypique.
Eh bien, la première raison est qu'il est sorti en
1996, une année où les jeux en 2D commençaient à
sérieusement courber l'échine face à une 3D qui
explosait. Pour exister en 2D, il fallait être
excellent. Et chose qui n'arrangeait pas les
affaires d'ADK, pas mal de jeux de combat en 2D
excellaient. Coincé entre un Real Bout Fatal Fury,
un Street Fighter Alpha 2, un X-Men vs. Street
Fighter et surtout un King of Fighters '96, il
était bien délicat d'attirer le joueur et
l'exploitant de salle de jeux.
Ensuite, du côté des consoles, il a été
commercialisé assez tardivement, surtout sur
Neo·Geo CD. King of Fighters '96 était sorti entre
temps en arcade et les premières images de Samurai
Shodown IV circulaient déjà. D'ailleurs, il fut
parfois testé dans sa tardive version CD en
prétendant qu'il s'agissait de la cartouche,
sortie trois mois avant. Bon, le propos n'est pas
de jeter la pierre à qui que ce soit et il est
évident qu'avec la concurrence qu'il y avait en
face et vu le prix exorbitant des cartouches,
difficile de recommander ce titre. Bref, en 1996
tout allait très vite, et tout excellait. Pas
facile pour Ninja Master's de s'illustrer.
Enfin, en devenant sérieux et en choisissant une
ambiance sombre, ADK a forcément déçu ceux qui
attendaient un World Heroes 3 qui ne verra jamais
le jour.
Très bon jeu sorti sans doute un an trop tard,
Ninja Master's a été un peu trop vite oublié. Il
mérite amplement sa place sur Neo·Geo, même si les
jeux de combat y sont nombreux et souvent d'un
haut niveau.