Le
beat them up dont il est question arrive dans un
contexte qui n'est pas des plus faciles. Outre le fait que
le genre est en déclin suite à l'explosion de Street Fighter
II, il y a la difficulté pour SNK à se faire un nom dans
cette niche de l'arcade.
En effet, en 1991 SNK propose d'abord Sengoku, un titre
assez original avec ses samouraïs et ses deux dimensions à
explorer. Puis l'éditeur tente de rivaliser avec Capcom et
son inévitable Final Fight. Burning Fight est doté d'une
ambiance urbaine classique et s'inspire sans honte du jeu
rival. Hélas moins réussi que son modèle, il rencontre tout
de même un succès d'estime auprès de certains joueurs. Enfin
Robo Army et son environnement futuriste sort un peu plus
des sentiers battus.
SNK retente sa chance le
16 mars 1992 en arcade puis le 17 avril de la même année sur
console Neo·Geo avec un beat them up prenant place
dans un mode ravagé, Mutation Nation. Ce dernier aura fort à
faire face à une concurrence toujours plus affutée.
Captain
Commando
(1991, Capcom)
Teenage
Mutant Ninja Turtles
(1991, Konami)
Silent
Dragon
(1992, Taito)
Nous sommes au XXIème
siècle, il y a eu une explosion dans un laboratoire.
C'est la fin d'un rêve (celui de la génétique) et le
début d'un cauchemar (celui des mutants). Le
scientifique chargé des recherches est un généticien
spécialisé dans la mutation. Ses travaux, très
controversés, ont fini par mener à cette explosion. Le
savant a survécu et, rempli de rancœur, a décidé de
provoquer des mutations chez tous les habitants de la
ville. Il veut désormais construire une nation de
mutants. Deux jeunes combattants, Ricky Jones and
Johnny Hart, rentrent en ville après une longue
absence et voient les dégâts. Il est temps de faire le
ménage...
Ce
scénario digne des meilleurs nanars est sommairement évoqué
dans l'intro du jeu où on peut admirer le visage ravagé du
savant fou.
Mutation
Nation ne dispose que de très peu d'options, et c'est peu de
le dire. Au programme, choix du niveau de difficulté et...
c'est tout.
Une
fois ce dernier choisi, on en apprend un peu sur le
maniement des personnages.
Le bouton sert à frapper ou ramasser un item, le à sauter et la combinaison déclenche un uppercut. Quand on
frappe il est possible de faire des enchaînements de coups
selon qu'on appuie en même temps sur , ou rien d'autre. Enfin ce même
bouton sert à charger une attaque spéciale.
Le personnage se concentre quelques secondes et une fois
cela fait, il se met alors à clignoter en bleu. On relâche
alors le bouton et cela déclenche un coup dévastateur. Une
telle attaque consomme deux points de santé, sauf si on a
ramassé des pastilles de magie.
Il
y en a cinq différentes à récolter, chacune ayant ses
caractéristiques. C'est également l'occasion de régénérer un
peu sa barre de vie.
Split
Attack : très rapide, le personnage se dédouble
en balayant les deux côtés de l'écran.
Explosion
Attack : boule d'énergie très puissante.
Thunder
Attack : détruit les ennemis par un éclair de
grande amplitude.
Tornado
Attack : le personnage se transforme en tornade
verte et nettoie la majeure partie de l'écran.
Power
Ball : augmente le nombre de coups spéciaux en
stock.
Il
faudra parcourir la ville ravagée et infestée de mutants au
travers de six niveaux avant de pouvoir affronter le savant
fou. Voici les trois premiers en images :
À
la fin de chaque stage, un bon gros boss vous attend, dans
la grande tradition du beat them up. Ici, certains
sont particulièrement remarquables de par leur taille,
franchement imposante. Durant ces phases un compteur de
temps se met en place, et gare à ceux qui n'arriveront pas à
vaincre le boss dans le temps imparti !
Les
jeux Neo·Geo disposent d'un identifiant, il s'agit
du code NGH. Mutation Nation se voit attribuer le
numéro NGH-014 et est censé sortir à peu près après
Cyber-Lip et The Super Spy datant de 1990 et avant King of the Monsters et
Sengoku en 1991. Même si l'ordre n'est pas respecté
à la lettre, ces identifiants étant attribués
pendant le développement, on pourra remarquer que
Mutation Nation étant sorti début 1992 n'a rien à
faire avec ces jeux-là, comme on peut le voir sur la
Neo·Geo Master List.
Eh
bien il se trouve qu'à la base Mutation Nation doit
s'appeler Dream Over et est bien prévu pour une
sortie à cette époque-là. On retrouve d'ailleurs son
nom dans la notice du jeu en version américaine
(cliquez sur l'image pour agrandir).
Dream
Over voit le début de son développement
considérablement retardé et le contenu du projet est
modifié. Le jeu devient Mutation Nation et est alors
prévu pour l'été ou l'automne 1991.
Voici ce qu'aurait pu
être le logo de Dream Over
La sortie du jeu est à
nouveau décalée pour pouvoir redessiner les
personnages et ne pas entrer en concurrence avec
les jeux développés en interne. Enfin le
développement de Super Sidekicks mobilise du
personnel pendant le deuxième semestre 1991, ce
qui retarde encore plus le jeu.
Mutation Nation est enfin présenté au public en
février 1992 sous son nom définitif à l'AOU Show
puis peut enfin arriver dans les salles d'arcade
le mois suivant.
Une
autre particularité est que les deux héros de
Mutation Nation ne semblent jamais nommés : ni
dans le jeu, ni dans la notice, ni même à
l'arrière de la boîte du jeu. Il n'est question
que de jeunes combattants ou, au mieux, de 1P et
2P. C'est en regardant le marquee pour
la version arcade qu'enfin on peut voir qu'ils
s'appellent Ricky Jones et Johnny Hart.
Mutation
Nation joue donc la carte d'une certaine originalité en ce
qui concerne son univers ainsi que pour sa gestion des coups
spéciaux. Sa réalisation est-elle à la hauteur de ses
prétentions ?
Autant
écourter le suspense, la réponse est oui. Mutation Nation a
de bien jolis graphismes. Les décors, urbains et
post-apocalyptiques, sont variés et très travaillés avec un
nombre de détails inhabituel pour ce genre de jeu. Tout
transpire la crasse et le tube à néon, on en redemande.
Les personnages (héros et ennemis) ne sont pas en reste et
sont particulièrement grands. Cependant c'est surtout par
leur design qu'ils se distinguent. Avec leur dégaine, on les
croirait tout droit sortis d'un film d'horreur des années 50
: l'homme-pieuvre, la moto conduisant une moto (!),
l'homme-fourmi, le rockeur tentaculaire, etc. La majorité du
bestiaire convient à merveille au thème du jeu.
L'animation
est un chapitre où Mutation Nation va avoir l'occasion de
s'illustrer à nouveau.
Les combattants sont imposants et franchement bien animés,
les ennemis un peu moins. Le détail qui tue : les héros
respirent avec difficulté lorsque leur barre de santé est au
plus bas. Les ennemis sont imposants et les boss carrément
énormes ! Certains semi-boss bénéficient d'un effet de
zoom qui donne de la profondeur au visuel du jeu.
Concernant les stages, un scrolling différentiel à
deux plans est appliqué à la plupart des niveaux et de très
nombreuses petites animations les rendent plus palpables.
On en prend plein la vue !
Les voix,
cris, bruitages, tout est réalisé avec beaucoup de soin.
Comme bien souvent sur Neo·Geo, les différents bruitages ne
manquent pas de percutant. Curieusement les impacts perdent
en puissance à partir du deuxième niveau pour un rendu un
peu plus métallique.
Quant aux musiques, ces dernières se montrent très
entraînantes et certaines restent dans la tête un moment. La
plupart conviennent parfaitement à l'ambiance du jeu et,
mieux que cela, elles la renforcent.
De prime
abord, Mutation Nation peut sembler très limité dans ce
domaine. Et c'est vrai que seulement deux boutons sont
utilisés : frappe et saut. Fort heureusement, il y a
quelques combinaisons et enchaînements, ainsi que des
pouvoirs spéciaux (cinq en tout). Cela étant, ça reste un
peu léger en comparaison d'un Final Fight ou d'un Vendetta
qui proposent des armes à utiliser et des objets à casser.
Point plus dérangeant, c'est le principe de la super-attaque
assez mal conçu. Dans la plupart des jeux, de tels coups
entament la barre de santé (comme ici, sauf si on a ramassé
une pastille avec une lettre), mais permettent également de
se sortir de situations périlleuses. C'est donnant-donnant.
Ici, ce n'est pas le cas. Devoir garder un bouton enfoncé et
donc rester vulnérable aux attaques ennemies quelques
secondes n'est pas terrible, d'autant plus qu'aucune attaque
ne permet de se dégager d'un traquenard, sauf à la rigueur
l'uppercut .
Enfin les boîtes de collision ne brillent pas de par leur
précision, en particulier lors des coups sautés.
Avec six
niveaux, Mutation Nation est dans la moyenne des beat
them up d'arcade : une partie est courte, à peine une
trentaine de minutes. Cela n'est absolument pas gênant et
correspond parfaitement à l'ADN arcade du jeu.
Ce qui l'est davantage, c'est qu'il n'y a que deux héros, et
en plus on ne peut pas les choisir ! Pour prendre Johnny on
est forcé d'appuyer sur avec la deuxième manette, chose
bien peu pratique. En plus le dernier niveau, même s'il est
beau et vaste, se résume à un boss rush sans aucun
autre ennemi.
Le jeu à deux relance toutefois grandement l'intérêt de ce
Mutation Nation.
Contrairement
à Burning Fight et malgré son statut de jeu de
première génération, Mutation Nation ne fait pas
partie de l'offre de jeux disponibles au lancement
de la Neo·Geo CD. Il faut attendre le 25 février
1995 pour le voir arriver sur cette dernière,
accompagné de View Point et 2020 Super Baseball.
Pesant
54 Mbits (voire moins ici car les musiques sont sur
les pistes du CD),
Mutation Nation ne soumet la console à quasiment
aucune contrainte et se charge en une seule fois.
Une seule fois, réellement ?
Eh bien oui et non pour être honnête. Lorsque la
console change de piste CD pour accéder à une autre
musique, l'écran gèle pendant ce temps d'accès.
Probablement le jeu aurait pu continuer sans musique
le temps que la console lance la bonne piste, mais
SNK a préféré le suspendre une ou deux secondes.
Cela se ressent le plus quand on affronte les
sous-boss, chaque apparition de ces derniers étant
ponctuée d'un changement de piste audio.
Concernant
cette bande-son, la version originale en cartouche
est reprise à l'identique, sans aucune
réorchestration. Pour un jeu sorti en 1995, on
aurait espéré un petit réarrangement. On pourra
noter une différence lors des séquences d'ascenseur
dans le dernier niveau. Si sur Neo·Geo cela se fait
sans aucune musique, ce n'est pas le cas pour la
version CD.
Autre modification à noter, ici les bruits d'impacts
restent très percutants tout au long du jeu en
gardant la puissance dont ils faisaient preuve au
cours du premier niveau.
Bien
entendu, les crédits sont ici infinis : c'est au
joueur de se maîtriser, sous peine de finir
l'aventure dès la première partie et en ayant une
fausse impression de facilité.
Quasiment
identique à son homologue cartouche, ce Mutation
Nation version CD n'est qu'un portage sans aucun
bonus ni aucune perte avec des crédits illimités. Si
d'un ôté on aurait apprécié une version un peu plus
ambitieuse, d'un autre côté il faut admettre que le
travail est bien fait et saura parfaitement
satisfaire le possesseur de Neo·Geo CD.
Bilan
Transpirant l'ambiance urbaine
décomplexée et proposant un bestiaire original,
Mutation Nation s'affranchit avec brio des limites
que s'imposait inutilement Burning Fight,
peut-être un peu trop sage pour certains. Ici tout
est exubérant, exagéré et assumé. On est dans
l'arcade pure avec une réalisation de très bon
niveau et une ambiance post-apocalyptique de
premier ordre.
Même si le titre signé SNK ne fait pas figure de
référence, il constitue un bon jeu qui reste
l'occasion de passer un moment très défoulant dans
la plus pure tradition des jeux d'arcade.
Bon, on ne va pas se mentir, il y a mieux dans
monde du beat them up arcade, ne serait-ce
que de par la concurrence de certains titres
Capcom, Irem ou Konami.
Sur Neo·Geo Mutation Nation reste un très bon
choix pour l'amateur du genre et sa réalisation
tient toujours la route. Certes très daté dans son
style, et donc ancré plus que jamais dans les
années 90 avec son ambiance nanardesque, il saura
séduire l'amateur désireux de se replonger dans
cette époque où les salles de jeux sentaient la
cigarette et la transpiration.