Dans
la première moitié des années 90 quand on évoque Capcom, on
pense avant toute chose à Street Fighter II et ses
nombreuses déclinaisons. Un tel succès est plus que
remarquable, enviable, mais cela confine quelque peu à la
monoculture. Conscient de ce problème, Capcom diversifie
enfin son offre à partir de 1994 avec Darkstalkers (Vampire
au Japon), un jeu mettant en scène des créatures issues du
bestiaire classique horrifique telles que le loup-garou, la
momie, la créature du Dr Frankenstein ou encore le vampire.
Il restera également dans l'histoire comme le titre ayant
introduit la garde aérienne et se distingue par une
réalisation lorgnant clairement vers l'animation. Ensuite
l'éditeur poursuit sa campagne de diversification avec des
titres tels que X-Men puis Street Fighter Alpha.
Revenons à Darkstalkers, ce dernier ayant droit à une suite
(les mauvaises langues diront que c'est juste une version
remaniée), Night Warriors, également appelé Vampire Hunter
au Japon. Plus généreux, toujours aussi attrayant, il a tout
pour tenter d'offrir des horizons différents de ceux
proposés par Street Fighter.
S'il y a bien un développeur qui voudrait que sa
série se fasse une place au soleil, qu'elle arrive à exister
face à au rouleau-compresseur de Capcom, c'est bien ADK.
World Heroes a toujours été dans l'ombre de la concurrence.
Cette série n'a ni le prestige d'un Street Fighter, ni
l'aura d'un Fatal Fury, et encore moins le dynamisme d'un
King of Fighters. Les World Heroes sont - au mieux -
considérés comme des titres de seconde zone et ce n'est pas
la très moyenne itération 2 Jet qui a risqué d'inverser la
tendance. World Heroes Perfect est l'ultime tentative de
redorer le blason de la saga d'ADK. Les plus incisifs
pourront d'ailleurs faire remarquer que le blason en
question n'a jamais été doré, mais c'est un autre débat.
En
lorgnant du côté de la parodie plutôt que du plagiat des
débuts, World Heroes renonce de fait à tenter de jouer
dans la même cour que Street Fighter II. Après tout,
c'était peine perdue. Cet épisode Perfect est-il pour
autant capable de rivaliser avec Night Warriors ?
Les
trois premiers World Heroes reposaient sur la même base,
on y retrouvait les mêmes personnages ainsi que le même
style de décors, avec des variations. Avec cet épisode
Perfect, ADK renouvelle un peu plus la formule. Du côté de
ce qui est reconduit, commençons par le style des
combattants, repris presque à l'identique de World Heroes
2 Jet. À l'heure où Street Fighter (Alpha) et Fatal Fury
(3) ont bénéficié d'une refonte complète, la franchise
d'ADK commence sérieusement à accuser le poids des années
de ce côté-là. Quant aux stages, ils offrent un peu plus
de nouveauté : ils abandonnent le scrolling ligne
par ligne du sol et ne sont plus associés à un combattant
en particulier. En effet ADK a opté pour un voyage dans le
temps avec différentes périodes représentées. Il en
résulte une inévitable régression quantitative, mais au
moins ils ont le mérite de hausser le niveau par rapport
aux opus précédents.
De son côté, Night Warriors nous refait le coup de Street
Fighter II'. On reprend les personnages et décors de
l'épisode de base et on change les couleurs. Eh bien, même
si cette méthode est paresseuse, il faut avouer que le
résultat est très convaincant. Darkstalkers était
magnifique et exploitait efficacement le Capcom Play
System II, davantage que Super Street Fighter II. Ici
c'est la même chose, mais avec de nouveaux coloris. S'ils
ne sont pas spécialement mieux choisis, l'ensemble reste
franchement très propre. Cerise sur le gâteau, chaque
environnement se voit attribuer son propre personnage.
Justement, du côté de ces derniers on retrouve toutes les
créatures étranges du premier épisode, et là encore, c'est
toujours aussi agréable.
Malgré une timide tentative de remise en question, malgré
une qualité somme toute plus que correcte, World Heroes
Perfect s'incline ici face à un Night Warriors absolument
impeccable.
Night Warriors
Du
côté de chez ADK certains décors manquent un
peu de profondeur.
(World Heroes Perfect)
Ici
on voit clairement l'effet de perspective
appliqué au sol. (Night
Warriors)
Rasputin
a toujours d'aussi grosses mains et en fait
profiter Hanzô. (World
Heroes Perfect)
Donovan
est le fameux Vampire Hunter, titre japonais
du jeu. (Night
Warriors)
Chaque
épisode de World Heroes base son animation sur celle du
précédent et l'améliore au passage, chose que fait
également le Perfect. Si cela peut sembler censé, il ne
faut pas trop en abuser et introduire un opus qui casse
cela permet de revoir en profondeur cet aspect, comme
l'ont fait Street Fighter Alpha ou Fatal Fury 3. Au bout
de quatre itérations, si l'animation de World Heroes
Perfect reste correcte, rapide et propre grâce à des
améliorations successives, elle accuse tout de même le
poids des années. On pourra apprécier l'humour, encore
plus présent qu'auparavant avec des personnages comme
Rasputin ou Jack.
Le premier Darkstalkers misait sur une animation bien
souple, à l'instar de X-Men. Ici c'est toujours le cas,
avec des postures très nombreuses, bien dessinées, et
surtout judicieusement choisies. L'impression de dessin
animé (de qualité) est bien présente. La qualité
n'excluant pas l'humour, il suffit par exemple de voir Sasquatch
ouvrir une bouche gigantesque pour cracher de la glace
ou Anakaris
se servir de ses bandelettes au combat pour être
convaincu que Night Warriors ne se prend pas vraiment
au sérieux.
Fort de son visuel digne d'un dessin animé, Night Warriors
se distingue aisément d'un World Heroes Perfect certes
meilleur que jamais, mais désormais nettement distancé.
Night Warriors
Cet
épisode est encore plus rapide que le 2 Jet. (World
Heroes Perfect)
C'est
souple, c'est fluide, c'est le Capcom des
grands jours. (Night
Warriors)
Duel
entre Muscle Power et Erick en pleine période
glaciaire. (World
Heroes Perfect)
Sasquatch
n'a pas son pareil pour refroidir l'ambiance. (Night
Warriors)
World
Heroes Perfect dispose de musiques plus qu'honnêtes dans
la parfaite lignée de celles des épisodes précédents. Même
si beaucoup trouveront que les jeux signés SNK sont un bon
cran au-dessus, elles restent entraînantes et bien
adaptées aux différentes aires de combat. C'est le style
World Heroes, pour résumer. Du côté des bruitages, c'est
impeccable, même si une bonne partie d'entre eux datent
des deux premiers épisodes.
Le jeu de chez Capcom n'a pas à rougir face à son rival,
le CPS-II offrant de meilleures possibilités que son aîné.
En effet les musiques ont des sonorités qui rappellent par
moments X-Men. Ces dernières sont issues de Darkstalkers,
avec des nouveaux morceaux accompagnant les nouveaux
décors. Sans être aussi mémorables que celles d'un Street
Fighter II, elles assurent très efficacement leur tâche.
Quant aux bruitages, là aussi c'est de très bonne qualité.
Nos deux jeux en présence offrent une bande-son très
correcte, de qualité, mais pas non plus mémorable. Il
n'est pas facile de la départager : renvoyons-les dos à
dos.
Égalité
Chaque
musique colle parfaitement à son stage. (World
Heroes Perfect)
La
plupart des musiques sont reprises du premier
Darkstalkers. (Night
Warriors)
Les
bruitages sont un peu forts par rapport aux
musiques. (World
Heroes Perfect)
Les
impacts de Night Warriors ne manquent pas de
percutant. (Night
Warriors)
Les
trois premiers World Heroes avaient la même base : un
bouton pour les coups de poing, un pour les coups de pied
et un pour les saisies, le tout avec deux niveaux de force
de frappe. Ici le Perfect propose trois niveaux de
puissance en empruntant le système de Samurai Shodown et
Samurai Shodown II. C'est plus complet, cela permet de se
rapprocher de ce qui se fait classiquement chez Capcom
(Street Fighter II, X-Men, Darkstalkers)... mais n'est pas
très adapté à la manette de la Neo·Geo, limitée à quatre
boutons. On s'y fait, mais le confort est assurément
moindre que chez le concurrent. Mis à part cela le jeu se
montre plus réactif que jamais, les commandes répondent
très bien et les coups sont en nombre.
Avec Night Warriors, c'est du Capcom : autant dire
classique mais - très - solide.
On a donc dans la grande tradition de la firme trois
niveaux de puissance de frappe, des enchaînements
intuitifs ainsi qu'une exécution des coups aisée. Pour ce
qui est du ressenti, on se trouve quelque part entre la
rigueur d'un Street Fighter et la souplesse d'un X-Men, le
jeu confirmant le subtil équilibre déjà amorcé avec le
très plaisant Darkstalkers.
Même si World Heroes Perfect a fait des progrès louables
avec une tentative de modernisation, Night Warriors le
domine en maîtrisant bien mieux son sujet.
Night Warriors
La
garde aérienne est apparue dans le premier
Darkstalkers. (World
Heroes Perfect)
Le
jeu signé Capcom offre une souplesse extrême. (Night
Warriors)
L'attaque
de Janne est dévastatrice, surtout en mode
Hero. (World
Heroes Perfect)
Huitzil
fait les frais de l'attaque ultime de Victor. (Night
Warriors)
Avec
16 personnages de base (et deux boss à débloquer), World
Heroes Perfect est loin de se montrer pingre en la
matière. Le jeu contre la machine est assez intéressant,
mais il faudra désormais faire une croix sur la
possibilité de choisir des modes un peu exotiques comme
les Death Match ou Tournament des épisodes précédents. À
deux c'est très correct du fait de la jouabilité qui a
bien évolué mais franchement, certains personnages ne
donnent pas du tout envie d'être pris.
Night Warriors se défend plutôt bien à ce chapitre, même
s'il ne dispose que de 14 personnages. Il reprend les 10
de Darkstalkers, les 2 boss Pyron et Huitzil, ainsi que 2
nouveaux, Donovan et Hsien-Ko. Il en résulte un bestiaire
horrifique toujours plus varié et original dans lequel
chacun pourra trouver son bonheur.
Même si beaucoup trouveront les personnages de Night
Warriors plus intéressants et originaux que ceux de World
Heroes Perfect, force est de reconnaître que ce dernier
reste plus généreux.
World Heroes Perfect
La
grille de base dispose de 16 cases, comme
World Heroes 2 Jet. (World
Heroes Perfect)
L'ensemble
des combattants de Darkstalkers est repris. (Night
Warriors)
Jack
est toujours adepte des attaques étranges. (World
Heroes Perfect)
Huitzil
est désormais jouable dans ce deuxième
épisode. (Night
Warriors)
Bilan
Bon, inutile de
ménager un quelconque suspense, Night
Warriors domine World Heroes Perfect dans
presque tous les domaines. Plus que de
savoir qui allait l'emporter, cette
confrontation était un prétexte pour
comparer deux approches très différentes.
En décidant d'en finir avec la monoculture
Street Fighter, Capcom s'est enfin ouvert de
nouveaux horizons qui ne seront pas pour
déplaire, bien au contraire. Avec Night
Warriors, l'éditeur a trouvé un équilibre
entre réalisation maîtrisée et approche
originale. Voilà un excellent titre de
second choix qui n'a absolument pas à rougir
face à des gros bras tels que Street Fighter
Alpha, X-Men, Fatal Fury 3, KOF '94 ou
encore Samurai Shodown II.
Dans ces conditions, ADK ne peut lutter avec
son angle d'attaque bien moins judicieux.
World Heroes est une série qui ne parvient
pas à se renouveler (alors que Street
Fighter et Fatal Fury l'ont fait, et Samurai
Shodown le fera également) en persistant à
remanier une base plus que vieillissante.
Alors oui, la réalisation est meilleure que
jamais. Oui, le jeu est plus jouable que
jamais. Oui, la grille de sélection est plus
généreuse que jamais. Hélas, pas de quoi
inquiéter Capcom, ni de quoi masquer les
rides d'une série à bout de souffle qui sera
opportunément remplacée par Ninja Master's
l'année suivante. Et ce n'est pas la
tentative maladroite de remplacer l'esprit
plagiaire par de la parodie qui pourra y
changer quoi que ce soit.
Cela fait de la peine, cela peut paraître
sévère, World Heroes restant une série
importante de la Neo·Geo et cette itération
Perfect étant toute de même réussie.
Pour ceux qui voudraient les découvrir, en
plus de l'arcade il est également possible
de retrouver ces deux titres -
très bien adaptés - sur Saturn ainsi que
dans les compilations World Heroes Anthology
et Vampire: Darkstalkers Collection sur
PlayStation 2.