Depuis début 1991, Street Fighter II marche fort. Très fort. Ce titre a permis à Capcom de dépoussiérer totalement le jeu de combat, genre alors assez peu séduisant au regard des beat them up qui envahissent les salles d'arcade. Il faut bien avouer que des titres tels que Pit-Fighter, Street Smart ou même Street Fighter n'étaient pas particulièrement étourdissants, même s'ils avaient leur charme. Avec Street Fighter II, tout a changé, au point d'asseoir ce titre comme référence... et donc comme cible à abattre. Le premier à s'être lancé dans cet exercice - ô combien périlleux - a été SNK avec Fatal Fury. Le jeu est réellement bon, mais il n'est pas du tout en mesure d'inquiéter Capcom.
Nous voici en 1992 et la compagnie va d'ailleurs enfoncer le clou en mars avec une version améliorée et plus difficile de son monument, appelée Champion Edition. Le but est clairement de donner un nouveau souffle à Street Fighter II et de prolonger sa durée de vie dans les salles de jeux.
Cela n'empêche pas Alpha Denshi de tenter sa chance en juin de la même année avec un jeu tournant sur Neo·Geo, World Heroes. Et attention, cette fois, il ne s'agit plus de confronter les combattants les plus forts de la planète. Ce sont carrément les plus forts de tous les temps !

Deuxième tentative pour ébranler le monument Street Fighter II, World Heroes va devoir faire face à très forte partie.

 

Disposant de 9 stages classiques auxquels s'ajoutent ceux du mode Death Match, World Heroes se montre à la hauteur de ce qu'on attend, mais sans plus. Certes, c'est techniquement au-dessus de ce qu'on peut trouver sur Mega Drive ou Super Nintendo. Certes, même dans une salle de jeux, la bête ne fait pas mauvaise figure. Mais il y a comme un manque de fantaisie qui le rend assez austère et peu avenant. Cela est sans doute dû aux décors, pas très mémorables ainsi qu'aux couleurs choisies, trop froides dans l'ensemble. Par exemple, celui de Brocken a beau être en Allemagne et non en Californie, c'est loin d'être follichon niveau mise en couleurs. Notons par ailleurs le stage de Janne, qui a bien du mal à se justifier : quel rapport entre un cirque du début du XXème siècle et le Moyen-Âge ? Et ce ne sont pas les personnages à l'allure parfois douteuse (Dragon porte un pyjama ou quoi ?) qui vont arranger les choses. World Heroes fait graphiquement le job, mais sans enthousiasme.
De son côté, Street Fighter II' reprend l'intégralité des stages de la version précédente, c'est-à-dire un ensemble de 12 décors faisant voyager tout autour du monde. Pour cette édition des champions les teintes ont été modifiées. L'effort est certes minime, mais quel résultat ! Bien qu'un peu réchauffé, c'est magnifique avec une variété et une inspiration de premier ordre. Quant aux personnages, très légèrement retouchés, ils font encore et toujours figure de références. Cerise sur le gâteau, l'ensemble est plus fin que du côté de chez Alpha Denshi.
Malgré son visuel très convenable, World Heroes ne parvient pas à se hisser au niveau d'un Street Fighter II' impeccablement réalisé.

Street Fighter II'


Beaucoup de gris et de marron, cela reste un peu froid.
(World Heroes)

Les couleurs des décors ont en général gagné en chaleur.
(Street Fighter II')


Duel intense entre les deux ninjas devant le mont Fuji.
(World Heroes)

Chez Zangief, on est encore en Union soviétique.
(Street Fighter II')

 

Bien que très correctement décomposé, World Heroes se fera surtout remarquer par sa lenteur. Déplacements, sauts et même coups, tout semble ralenti. Le jeu a un rendu un peu curieux, comme si les combats se passaient en apesanteur. Et pourtant, le plus paradoxal, c'est qu'il n'y a pas réellement de ralentissements. On a tout de même droit à quelques effets sympathiques (certes directement inspirés par Street Fighter II) comme la combustion ou l'électrocution, très réussies. Du côté des décors, le sol a droit à un effet reproduisant un scrolling ligne par ligne, ce qui donne un bon rendu des perspectives. Cela étant, globalement on n'atteint ni le niveau de Fatal Fury, ni celui du premier Street Fighter II.
De son côté, Street Fighter II' a bien progressé par rapport à son aîné, tout en gardant ses qualités. Au final on a un jeu très bien animé avec une rapidité plus que suffisante. Les effets pyrotechniques et le sol animé ligne par ligne sont toujours là, Capcom s'appuyant sur une base extrêmement solide. Seul regret, les quelques ralentissements n'ont pas tous été éradiqués,
par exemple, juste après qu'un projectile ait fait un impact.
Franchement trop lent, World Heroes se fait ici distancer par un Street Fighter II' décidément bien abouti, même s'il souffre de quelques rares ralentissements.

Street Fighter II'


Les mains de Rasputin sont absolument énormes.
(World Heroes)

Les mouvements sont un peu améliorés et plus rapides.
(Street Fighter II')


Les effets de flammes sont encore plus éclatants que chez Capcom.
(World Heroes)

Alors mon petit Ken, aurais-tu oublié qui est le boss ?
(Street Fighter II')

 

World Heroes s'en sort mieux au chapitre du son, bien aidé par son support. Les musiques, bien que s'appuyant sur des thèmes très passe-partout, sont de bonne qualité et entraînantes. Elles correspondent plutôt bien aux divers stages et ne sont pas répétitives... sauf si on joue en Death Match. Là, on n'a droit qu'à un seul et unique accompagnement tout au long de la partie, sauf pour le combat contre le boss. Du côté des musiques et autres bruitages la qualité est très satisfaisante, comme bien souvent sur Neo·Geo.
Street Fighter II, c'est une jolie brochette de 12 thèmes mythiques et inoubliables. Enfin, cela est surtout vrai quand on pense immanquablement à la fantastique adaptation Super Famicom, sortie un mois avant World Heroes. Si on considère ce Street Fighter II' tournant sur Capcom Play System, on retrouve strictement la même bande sonore que pour la version The World Warrior : c'est certes très entraînant, mais ça a tendance à grésiller et à fatiguer à la longue. Les voix et bruitages de bonne qualité répondent toujours présents à l'appel, aucun souci de ce côté-là.
Doté d'une bande-son de légende d'une qualité assez discutable, Street Fighter II' a ici du mal à prendre l'avantage sur un World Heroes certes plus classique, mais de qualité.



Égalité


Tous les décors du Death Match ont le même thème musical.
(World Heroes)

Les musiques restent strictement les mêmes.
(Street Fighter II')


La Neo·Geo reste fidèle à sa réputation de voix impeccables.
(World Heroes)

Les bruitages du jeu de Capcom sont efficaces.
(Street Fighter II')

 

Les commandes de base de World Heroes sont calquées sur celles de Fatal Fury : un bouton pour les coups de poings, un pour les coups de pieds et un pour les saisies. Seule différence, on peut moduler la force du coup selon la durée de pression. Les coups spéciaux sont plus ou moins repris de Street Fighter II. Ces derniers sortent avec aisance, le toucher est par exemple plus souple que dans Fatal Fury. Enfin il est possible de procéder à quelques enchaînements de coups, ce qui dynamise toujours le gameplay.
Street Fighter II' repose pour sa part toujours sur un système à 6 boutons, soit 3 niveaux de puissance pour un confort de jeu inégalé. Ajoutons à cela des enchaînements toujours aussi plaisants et mieux équilibrés que dans la version originale et on obtient de jolis progrès accomplis à partir d'une excellente base. N'oublions pas les coups spéciaux qui s'exécutent parfaitement et on comprendra que Capcom maîtrise son sujet.
Plus complet, plus maniable et plus abouti, Street Fighter II' prend ici le meilleur sur un World Heroes qui n'est pas mauvais, mais qui honnêtement ne fait pas le poids.

Street Fighter II'


Les coups spéciaux sont pour la plupart empruntés à Street Fighter II.
(World Heroes)

Shôôôôô Ryû Ken!
Ce coup a plus de portée pour Ken.
(Street Fighter II')


Attention à ne pas s'approcher trop près des murs hérissés de piques.
(World Heroes)

Vega est en mauvaise posture face à un Honda très percutant.
(Street Fighter II')

 

Là encore, il n'y a que peu de doute quant au fait que World Heroes vise Street Fighter II : 8 combattants, impossibilité de prendre le même personnage ou d'affronter son double, l'influence est manifeste. Seuls domaines où le jeu d'Alpha Denshi reste en retrait, c'est le nombre de Bonus Stages (seulement 2 contre 3) et de boss (1 contre 4). Heureusement, dans un éclair de lucidité et d'envie d'originalité, les développeurs ont un temps oublié le jeu de Capcom pour intégrer le mode Death Match, avec ses arènes parsemées de pièges. Ce dernier est fort bienvenu en proposant une expérience de jeu qui change un peu du modèle de chez Capcom.
Copier Street Fighter II, pourquoi pas. Cela étant, du côté de chez Capcom, on n'en a cure. Il s'agit ici de la version Champion Edition, avec ses 12 personnages (dont 4 boss jouables) ainsi que la possibilité de prendre le même combattant en cas de duel. Ici, c'est généreux, on n'a pas honte de reléguer Fatal Fury et World Heroes au rang de jeux pingres. Par ailleurs, le niveau du CPU plus relevé qu'auparavant - ce n'est pas l'édition des champions pour rien - et les trois Bonus Stages sauront séduire le joueur solitaire.
Bien attrayant avec son tableau de sélection abondant, Street Fighter II' ne laisse pas le moindre espoir de victoire à World Heroes à ce chapitre, ce dernier ayant pour lui un panel de combattants correct, mais sans plus.

Street Fighter II'


8 personnages et impossible de prendre le même combattant.
(World Heroes)

Les 4 boss sont jouables et on peut prendre le même personnage.
(Street Fighter II')


Hanzô se la joue sculpteur de statue express.
(World Heroes)

Les Bonus Stages sont les mêmes que dans la version précédente.
(Street Fighter II')

 

 
Bilan
 
 



Malgré quelques bonnes idées, World Heroes se fourvoie en copiant en grande partie son rival et en manquant l'opportunité d'avoir une forte personnalité. Il faut bien reconnaître que Fatal Fury avait saisi sa chance en proposant un univers riche, original et attrayant. World Heroes n'est pas mauvais, loin de là, mais il se révèle en définitive un peu fade. Plus joli, plus jouable, plus généreux, plus moderne, Street Fighter II' fait figure de magnifique réactualisation et permet à Capcom de rester en tête.
De son côté, World Heroes n'a guère que son Death Match et son ambiance kitsch pour espérer séduire des joueurs qui seraient lassés du hit de Capcom. En fait, en y réfléchissant, World Heroes est sans doute le premier représentant de ce qu'on pourrait appeler "les seconds couteaux du jeu de combat" : des titres qui copient sans trop de complexes la concurrence, dont le but est certes de plaire, mais en aucun cas de surpasser Capcom. Les titres signés SNK à venir seront d'une tout autre trempe.

Tarma






 
     

   




 

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